DES ECRITS ... TEMOINS ET ROMANS A SUCCES

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Bien sûr, certains témoignages sont des oeuvres immortelles, qu'il est aisé de trouver ecore de nos jours en édition moderne, voire en édition ancienne. La plupart des ouvrages présentés ci-dessous sont réellement parmi les meilleurs qui ont été écrits sur ce thême, même si je pense personnellement que quelques livres moins connus recèlent encore plus d'émotion et parlent plus juste. Mais pour qui voudrait se limiter à la lecture de quelques tomes, ceux-ci feront parfaitement l'affaire .

Ceux de 14 - Maurice Genevoix - France
Le Feu - Henri Barbusse- France
Les Croix de Bois - Roland Dorgelès - France
La Peur - Gabriel Chevallier - France
Orages d'Acier - Ernst Jünger - Allemagne
A l'Ouest Rien de Nouveau - Erich-Maria Remarque - Allemagne
Adieu à Tout Cela - Robert Graves - Angleterre
Les 7 Piliers de la Sagesse - T.E. Lawrence - Angleterre

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Quelques grands classiques du côté français

Le taux d'alphabétisation au début du siècle permit à beaucoup de soldats de tenir des notes pendant le conflit. C'est un fait nouveau par rapport aux guerres précédentes. Bien sûr, le côté des vainqueurs fut de loin le plus prolifique après guerre, mais de nombreuses oeuvres furent publiées avant 1918. Parmi la profusion d'ouvrages de qualité variable, de romans, de carnets et de témoignages, se dégagent les 4 livres suivants, qu'il est aisé de trouver de nos jours en librairie ou chez des bouquinistes.


'Ceux de 14' (Maurice Genevoix - 1917)

Mon premier contact littéraire avec la Grande Guerre date de mes 14 ans, et est dû au talent de Maurice Genevoix. Dans ses souvenirs rédigés en 1917, qui sont rassemblés dans un recueil intitulé 'Ceux de 14', ce jeune sous-lieutenant du 106e régiment d'infanterie de l'armée française nous raconte les combats de la Marne en (sur l'aile est - dans le secteur de Verdun), puis ceux des Eparges et de la Tranchée de Calonne (sud de Verdun) en 1914 et 1915Ceux de 14 - Maurice Genevoix (Edition de 1974)

Blessé grièvement puis réformé en 1915, Maurice Genevoix fut par la suite un écrivain brillant, au style touchant et naturel, et reçut le titre de Secrétaire Permanent de l'Académie Française. Il mourut en 1980, non sans avoir été l'un des plus brillants et actifs animateurs des associations d'anciens combattants.

Outre la réussite purement littéraire, son ouvrage est particulièrement émouvant, et l'on suit l'évolution de ses sentiments au fur et à mesure que la guerre s'embourbe, passant des combats de campagne à la guerre des mines, la boue et les assauts frontaux et sanglants contre de formidables retranchements.

Lisez ce livre, puis allez vous promener sur le champ de bataille des Eparges, dont les entonnoirs de mine, les trous d'obus, les sillons de tranchées, et les monuments marquant les points stratégiques conquis dans le sang vous seront devenus familiers...La tombe du lieutenant porchon sous la neige de mars

Un choc vous attend dans le cimetière du Trottoir, au pied de la colline maudite, lorsque vous y découvrirez la tombe du jeune lieutenant Porchon, que vous aurez vu vivre, rire, souffrir et mourir aux côtés de son ami Maurice, tout au long des pages de ce livre. Comment ne pas imaginer l'émotion de ce dernier à ce même endroit, après la guerre, comment ne pas éprouver de la compassion tant pour le mort que pour le survivant ?


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'Le Feu' (Henri Barbusse - 1916)

Classique des classiques, et pourtant sujet à de nombreuses polémiques parmi les anciens combattants, 'Le Feu - Journal d'une Escouade', de Henri Barbusse fut mon second choc. Soldat engagé volontaire, brancardier au 231e régiment d'infanterie, Barbusse vécut la mobilisation et les furieux combats de l'Artois en 1915. C'est cette expérience dont il témoigne dans ce roman.Le Feu - Journal d'une Escouade (Henri Barbusse - Edition de 1917)

Quoique ses détracteurs, dont le virulent critique et ancien combattant Jean Norton Cru, l'aient accusé d'avoir trop forcé le trait des caricatures de ses héros, et exagéré l'aspect macabre des situations décrites, il reste que cet ouvrage est un texte fort, que l'on prend en pleine poitrine.

Il s'agit de la guerre des petits soldats, transbahutés d'un coin d'enfer à un autre sans trop comprendre, englués dans la boue et évoluant au milieu des cadavres puants. Mais vivant, souffrant et philosophant écrasés sous les obus qui dégringolent.

Que l'auteur ait altéré ça et là la vérité, c'est vraisemblable. Que cela ait vexé certains témoins de l'époque qui se sont sentis trahis, c'est compréhensible. Mais l'ensemble est une oeuvre poignante, bien écrite (elle a d'ailleurs reçu le prix Goncourt en 1916, malgré son ton anti-belliciste), dont on ne sort pas indemne.

Communiste engagé (son décès en 1935 à Moscou, fut salué par Joseph Staline en personne), Barbusse a créé un livre qui recèle des passages de pure émotion ;

Voyez cet extrait , celui où le héros assiste de loin à un assaut français sous un tir de barrage :

"On discerne des fragments de lignes formées de ces points humains, qui, sorties des raies creuses, bougent sur la plaine à la face de l'horrible ciel déchaîné.

On a peine à croire que chacune de ces taches minuscules est un être de chair frissonnante et fragile, infiniment désarmé dans l'espace, et qui est plein d'une pensée profonde, plein de longs souvenirs, et plein d'une foule d'images; on est ébloui par ce poudroiement d'hommes aussi petits que les étoiles du ciel.

Pauvres semblables, pauvres inconnus, c'est votre tour de donner ! Une autre fois ce sera le nôtre. A nous demain, peut-être, de sentir les cieux éclater sur nos têtes ou la terre s'ouvrir sous nos pieds, d'être assaillis par l'armée prodigieuse des projectiles, et d'être balayés par des souffles d'ouragan cent mille fois plus forts que l'ouragan."
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'Les Croix de Bois' (Roland Dorgelès - 1919)

Moins caricatural dans ses personnages que ne l'était 'Le Feu', ce second roman classique 'Les Croix de Bois', écrit cette fois par Roland Dorgelès en 1919, n'en attira pas moins les mêmes critiques. Jugé trop noir, trop sanglant, par les anciens combattants, il fut malgré tout un grand succès de librairie. Les Croix de Bois (Roland Dorgelès - Edition de 1919)

Dorgelès aussi participa activement au début de la Guerre, et assista également aux combats de l'Artois en 1915 au sein du 39e régiment d'infanterie. Nommé Caporal mitrailleur en juillet 1915, il sera muté en 1916 dans l'aviation, mais n'y servit pas, du fait d'une blessure.

Son roman met en scène des personnages fictifs, parmi lesquels le dénommé Sulphart tient un rôle central. Ici encore ce sont les images d'horreur qui frappent ainsi que la description de la misère infinie de ces hommes. Pas de gloire, pas de héros, juste de la souffrance et de la révolte contre la guerre... Témoin, cette citation tirée des dernières pages de l'ouvrage, lorsque Sulphart, au comptoir d'un café après le défilé de la Victoire en 1918 à Paris, coupe court à une discussion sur la valeur de la victoire en déclarant :

"J'trouve que c'est une victoire, parce que j'en suis sorti vivant...."

Les champs de bataille de l'Artois, où se situe l'action principale de ces deux livres ('Le Feu' et 'Les Croix de Bois') sont intéressants à visiter. Carency, Souchez, La Targette, Le Labyrinthe, Les Ouvrages Blancs, Notre Dame de Lorette, autant de lieux dont vous aurez lu le nom que vous pourrez parcourir. Après 1915, le secteur fut tenu par les troupes anglaises et canadiennes, et les combats qu'ils livrèrent écrivirent une autre page en lettres de sang (dont la prise de la crête de Vimy en avril 1917). On y trouve donc aussi beaucoup de monuments de cette époque..


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'La Peur' (Gabriel Chevallier - 1930)

Et voici donc le dernier ouvrage que je recommande en première lecture pour découvrir ce que fut 14-18 dans les tranchées du côté français. 'La Peur' fut écrit bien après la guerre (en 1930) par Gabriel Chevallier qui se rendit ensuite célèbre par son oeuvre littéraire, dont le principal succès fut 'Clochemerle'. Mobilisé à 19 ans en 1914, il est blessé en 1915. Revenu au front en 1916, il terminera la guerre dans l'infanterie. La Peur est donc un roman autobiographique à la première personne, intégrant les souvenirs de guerre de l'auteur, bien qu'il ait nommé son héros 'Jean Dartemont'. La Peur (Gabriel Chevallier - Edition de Poche - 1974)

Le récit commence en 1914, avec une description saisissante du fol enthousiasme d'août,

"On a dit aux Allemands : 'En avant, pour la guerre fraîche et joyeuse ! Nach Paris et Dieu avec nous., pour la plus grande Allemagne' Et les lourds Allemands paisibles, qui prennent tout au sérieux, se sont ébranlés pour la conquête, se sont mués en bêtes féroces.
On a dit aux Français 'On nous attaque. C'est la guerre du Droit et de la Revanche. A Berlin !' Et les Français pacifistes, les Français qui ne prennent rien au sérieux, ont interrompu leurs rèveries de petits rentiers pour aller se battre.
(...) Vingt millions, tous de bonne foi, tous d'accord avec Dieu et leur Prince... Vingt millions d'imbéciles... Comme moi !"
et s'achève en 1918, par l'entrée des troupes françaises en Allemagne.

Entre ces deux dates, la vie de dépôt, les souffrances du front, en passant par une hallucinante description de l'angoisse du fantassin guettant le bruit du pic du pionnier allemand sous sa tranchée à Berry-au-Bac, et redoutant l'instant inéluctable où la mine sautera et transformera tout en lumière...


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Quelques grands classiques du côté allemand

Pays vaincu, rendu exsangue par le traité de Versaille, déchiré par la guerre civile, puis étouffé par le nazisme, l'Allemagne d'après-guerre ne fut pas très prolifique en souvenirs de guerre. Les deux classiques que je vous recommande sont aux deux extrèmes des sentiments de l'époque.


'Orages d'acier' (Ernst Jünger - 1918)

Jeune officier de 19 ans dans les troupes d'élite allemandes (après un passage éclair avant guerre dans la Légion Etrangère !), Ernst Jünger vécut le conflit sur le front de l'ouest, et fut de nombreux coups durs. Il y gagna la Croix 'Pour le Mérite'... et 14 blessures ! Pas étonnant donc que 'Orages d'Acier' soit résolument plus guerrier que les classiques français, à tel point que la lecture en devient parfois dérangeante. Il donne cependant une bonne idée de la détermination de ces soldats, de la violence et de la misère de cette époque.

Orages d'Acier (Ernst Jünger - Edition de 1932)Le fait que cet ouvrage ait été écrit peu de temps après l'armistice, que beaucoup de combattants allemands ont vécu comme une trahison de l'arrière (le 'coup de couteau dans le dos'), justifie probablement en partie ce besoin de montrer les combats comme horribles, certes, mais menés par des hommes courageux.

Les combats de Champagne, de Picardie, la Somme, et les Eparges, sont décrits avec vigueur et sur un ton mâle. Ernst Jünger écrivit par la suite d'autres livres, dont d'autres souvenirs de guerre ('Le Boqueteau 125') et un roman plus critique mais toujours inspiré de son expérience de guerre ('Le Lieutenant Sturm'). Ces ouvrages sont tous régulièrement ré-édités.

Jünger sut éviter la récupération de son oeuvre par le mouvement nazi, et prit ses distances avec lui tout en restant farouchement nationaliste. Il participa à la seconde guerre avec le grade de capitaine, prit part au complot contre Hitler en 1944, et manqua d'y laisser la vie.


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'A l'ouest rien de nouveau' (Erich-Maria Remarque - 1929)

Jeune volontaire engagé à 18 ans en 1915, E-M Remarque a écrit avec 'A l'Ouest Rien de Nouveau' un réquisitoire contre la guerre, sur base de sa propre expérience. Tout ici nous conduit à vomir cette barbarie. La peur paralysante, le sang mélé à la boue, les hurlements des blessés, la saleté, les odeurs pestilentielles sont partout.

A l'Ouest Rien de Nouveau (Erich-Maria Remarque - Edition 1968 agrémentée de photos du film de 1930)Le début du livre à lui seul mérite la lecture. Les propos enflammés de propagande nationaliste du professeur de collège qui envoie ses jeunes étudiants se faire exterminer sur le front de l'ouest sont édifiants. La suite du livre montre le héros perdant très vite ses illusions d'héroïsme, et s'enfonçant inexorablement dans la terreur et le dégoût.

Le récit s'achève sur une note de désespoir : "Il tomba en octobre 1918 par une journée qui fut si tranquille que le communiqué se borna à signaler qu'a l'ouest il n'y avait rien de nouveau. Il était tombé la tête en avant, étendu sur le sol, comme s'il dormait. Lorsqu'on le retourna, on vit qu'il n'avait pas dû souffrir longtemps. Son visage était calme et exprimait comme un contentement de ce que cela s'était ainsi terminé."

A sa sortie en 1929, ce livre fut mondialement célébré comme un chef-d'oeuvre du pacifisme et fit un énorme succès. Mais il n'eut pas que des admirateurs. En France, le très intransigeant Jean Norton-Cru en fit un émule de Barbusse qui se complaisait d'après lui dans l'horreur et le sensationnel, et déformait la réalité.

En Allemagne, E-M Remarque fut exécré par les nationalistes, qui virent dans le pessimisme de son ouvrage une preuve de lâcheté et l'identifièrent comme un des défaitistes qui amenèrent la rapide débacle de 1918. Les nazis allèrent plus loin en interdisant et faisant brûler cet ouvrage et en inscrivant son auteur sur une liste d'écrivains jugés décadents, symptomatiques du 'déclin moral' et du 'bolchevisme culturel'. A l'arrivée au pouvoir de Adolf Hitler, en 1933, Remarque s'exila comme beaucoup d'autres aux Etats-Unis, évitant ainsi vraisemblablement le camp de concentration. Il acquit la nationalité américaine en 1947.


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Quelques grands classiques du côté anglais

Beaucoup de livres ont été écrits au Royaume-Uni par des anciens combattants de tous grades. Relativement peu ont fait l'objet d'une traduction française. Je me bornerai donc à citer deux de mes lectures.

'Adieu à tout cela' (Robert Graves - 1929)

Adieu à tout cela (Robert Graves -  Edition 1998)Robert Graves a 19 ans et est déjà un gentleman lorsqu'il part se battre comme officier dans l'armée anglaise en 1914. Lors de la terrible bataille de la Somme, le 20 juillet 1916 au bois des Freux près de Bazentin, il est si grièvement blessé que l'armée annonce officiellement sa mort à sa famille. Il se remet de ses blessures et continue le conflit.

Homme érudit, ami et correspondant du célèbre Siegfried Sassoon qui créa dans la tranchée des poêmes hallucinants, Robert Graves écrit dans cette oeuvre ses mémoires dont la guerre constitue la majeure partie. Le ton est très 'britannique'. Humour et auto-dérision alternent avec peur et douleur. C'est un jeune homme traumatisé qui sortira de cette épreuve, et le récit qu'il fait des années suivantes de sa vie ne sert qu'à montrer l'étendue des dégats.

"Goodbye to all that" est donc un exorcisme auto-pratiqué par un jeune homme de 33 ans, seulement 11 ans après la fin d'une guerre qui aura transformé son existence. Il faut comprendre cela et s'en imprégner pour apprécier cet ouvrage, et ressentir la souffrance et l'horreur tapies dans l'élégance et la légèreté du style.

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'Les 7 Piliers de la Sagesse' (Sir T.E. Lawrence - 1936)

Ce livre est constitué des mémoires d'un officier anglais envoyé en mission d'intelligence dans la péninsule Arabe, afin de rallier les tribus désunies contre la Turquie, alliée de l'Allemagne menant la guerre au moyen-orient. T.E. Lawrence y vécut une aventure époustouflante, mise en scène plus tard par Hollywood dans le magistral "Lawrence d'Arabie" interprété par l'inoubliable Peter O'Toole.

Les sept piliers de la sagesse (T.E. Lawrence -  Edition 1941)Il faut lire 'Les 7 Piliers de la Sagesse' non seulement pour réaliser que la Grande Guerre, ce fut aussi des infiltrations et combats dans le désert jordanien à dos de chameau, mais aussi pour sa valeur littéraire et philosophique. Dans sa première traduction française (chez Payot), cette 'brique' pèse 820 pages ! Heureusement, des versions allégées on été éditées depuis qui ne trahissent pas l'original.

Pour fédérer les tribus arabes contre les turcs, le gouvernement britannique fit prononcer par Lawrence des promesses d'indépendance. A la fin du conflit, elles furent allègrement oubliées ou dévoyées. Lawrence, qui avait développé un profond respect pour la culture et le peuple arabe ne s'en remit jamais.

Cette amère déception est fidèlement transcrite dans son livre, dans laquelle la 'realpolitik' de l'Angleterre est vertement critiquée. L'exemplaire que je possède a été imprimé en France en 1941, pendant l'occupation allemande : c'est dire si le texte écorne le Royaume-Uni !

T.E. Lawrence décèdera dans un accident de moto juste avant la seconde guerre mondiale.

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